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Éditorial: L'épidémie révélatrice

Éditorial: L'épidémie révélatrice

Zora Ait El Machkouri

Elle a frappé de plein fouet là et personne n’a pu anticiper son intensité. Aucune puissance, occidentale ou orientale, n’a pu se préparer adéquatement à une crise mondiale d’une telle ampleur.

Certes, les spécialistes des relations internationales s’attendaient à une crise politique majeure ou diplomatique entre de grandes puissances. En septembre 2019, nous-mêmes parlions du « monde en crises ». Ici et là, des tensions se faisaient sentir entre le Canada et la Chine, les États-Unis et la Chine, mais aussi l’Iran. Certains dirigeants profitaient du chaos diplomatique pour rêver à un renouveau de l’Empire ottoman ou encore au retour de la Grande Russie. Les crises étaient devenues des moteurs de notre civilisation ; quand une se résorbait timidement, une autre resurgissait… Mais jamais la crise sanitaire mondiale, engendrée par la COVID-19, n’a été sur les radars.

Avec les premières baisses de contaminations constatées en Europe et au Canada fleurissent les « il n’y avait qu’à », « on aurait donc dû », et « il fallait plutôt ». Un peu aisé après-coup, considérant qu’aucun gouvernement n’avait pu imaginer – encore moins anticiper – les effets multiples du nouveau coronavirus sur la population mondiale.

Ce qui ne nous empêche pas, humblement, de poser des questions et de faire des constats. Il ne s’agit pas de donner des leçons, mais plutôt d’en tirer. Il ne s’agit pas de spéculer sur le monde d’après – le temps de la réflexion ne fait que commencer –, mais d’observer d’abord les problèmes profonds que la pandémie nous donne à regarder avec encore plus d’acuité.

Parce que oui, la pandémie de COVID-19 a agi comme un révélateur. Comme le liquide que l’on verse sur une pellicule dans le processus photographique afin d’en faire ressortir une image, elle a permis de mettre en lumière notre monde actuel et de faire ressortir ses nombreuses failles.

L’internationalisation de la peur

« Pour la première fois, l’humanité a eu peur de la même chose et en même temps. » Ce constat est celui de l’ancien ministre français des Affaires étrangères Hubert Védrine, dont l’ouvrage Et après ? est sorti le 24 juin. Il peint une humanité figée et contrainte de se mettre à genoux.

La civilisation occidentale, si sûre d’elle, si arrogante, qui se pensait solide sur ses fondements d’ultra-consommation et de croissance folle, a été déboulonnée par un virus mortel.

D’ailleurs, aux premiers temps de l’éclosion, bon nombre d’analystes et de médecins étaient dans le déni ou faisaient preuve de condescendance. Le virus était « chinois » comme se plaît encore à le dire, de manière provocatrice, le président Donald Trump. Autant la France que le Canada ont semblé croire que l’éloignement géographique protégeait leurs citoyens de ce virus né dans un marché populaire au fin fond de Wuhan. Même quand le compteur des cas s’est affolé plus près, en Italie, les spécialistes balayaient encore de la main l’urgence, mettant en cause la désorganisation « méditerranéenne » de son système de santé.

Ensuite, les grandes démocraties prises de court ont décrété le confinement, dans une certaine forme de paternalisme non sans infantilisation des populations. Que ce soit en France, au Canada ou au Québec, les gouvernements se sont d’ailleurs autofélicités de leur gestion de crise en louant également leur population pour leur large respect du confinement, en parlant de civisme. Mais cette obéissance des citoyens était surtout guidée par la peur, la peur de la mort, la peur pour les siens, la peur de l’autre. Évacuée de nos sociétés consuméristes aveugles, la mort s’est rappelée à nous. Et l’avalanche de décès dans les établissements pour aînés n’a pas permis d’offrir une fin digne aux principales victimes du coronavirus.

Quant aux dirigeants populistes, la pandémie a révélé leur inefficacité face à une crise majeure. Malgré leur charisme et leur démagogie – grâce auxquels ils se sont fait élire –, ils n’ont pas su offrir une gouvernance rassurante. Ils ont nié ou minimisé la réalité, et continuent à le faire. Ce n’est donc pas un hasard si les deux premiers pays du funeste classement mondial des victimes de la COVID-19 sont dirigés respectivement par Donald Trump (États-Unis) et Jair Bolsonaro (Brésil). Ce dernier, fort de « sa santé d’athlète », court les rassemblements sans protection à travers le pays qui compte plus de 50 000 morts — au point où la justice brésilienne l’a rappelé à l’ordre. Quant à Poutine, la normalité est selon lui de retour, même si le pays demeure le 3e au monde avec le plus de cas (500 000) : une consultation populaire a lieu à partir du 25 juin afin de réformer la Constitution… et de maintenir l’intéressé au pouvoir après 2024.

Les victimes collatérales

Le confinement est le mal nécessaire qui a permis de « casser » l’épidémie, laquelle aurait été plus mortelle selon les différentes prévisions scientifiques. Pendant ce temps, les services essentiels ont été assurés par des personnes au statut précaire, à faible revenu ou au niveau de scolarité moins élevé : aides-soignants, caissiers, personnel de ménage, éboueurs, etc. Ce sont donc elles, avec le personnel médical, qui ont été le plus exposées à la COVID-19.

Les victimes de violences domestiques sont évidemment d’autres victimes collatérales de cet enfermement. Emprisonnés avec leur bourreau, les femmes et les enfants ont eu à subir les conséquences d’un environnement familial anxiogène. Au Québec, SOS violence conjugale a noté une hausse de 20 % de ses appels à l’aide – souvent la nuit – par rapport à 2019. Idem pour la France et l’Italie, où les cas de violences conjugales ont augmenté de 20 à 30 %. L’association française L’Enfant bleu a constaté, quant à elle, que les appels concernant les mineurs victimes ou en danger de violences parentales ont augmenté de 20 %, en plus d’une hausse de 60 % pour les appels considérés comme urgents.

En entraînant une crise économique sans précédent, la crise sanitaire va également forcer des millions d’enfants à retourner au travail dans les mois à venir. Plus de 20 ans de progrès seront ainsi balayés, selon l’Organisation internationale du travail (OIT) et le Fonds des Nations unies pour l’enfance (UNICEF) dans un rapport publié le 11 juin. Depuis 2000, quelque 94 millions d’enfants ont été retirés du travail, mais ces gains sont menacés par la pandémie, car en temps de crise, le travail des enfants devient un mécanisme d’adaptation pour de nombreuses familles. L’augmentation de l’exploitation sexuelle, des grossesses des adolescentes et du mariage des enfants risquent également d’être des conséquences directes de la pandémie, selon un rapport d’Human Rights Watch datant du 9 avril.

La pandémie a également occulté d’autres crises, par exemple en Afrique de l’Est, en Inde et au Pakistan aux prises avec une invasion majeure de criquets pèlerins. L’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) avait déjà sonné l’alarme en mars — en pleine éclipse médiatique. Le 12 juin, la FAO prévenait de nouveau que le Kenya, l’Éthiopie et la Somalie vont connaître des attaques de milliers d’hectares de plantations. Les insectes se reproduisent 400 fois plus vite que d’ordinaire et se déplacent en Irak et en Iran, en plus de gagner l’Asie du Sud. Notons que nombre de famines et de crises dont nous faisons régulièrement écho dans nos pages (Yémen, Syrie, Cameroun…) n’ont jamais mobilisé autant les gouvernements que la crise sanitaire actuelle. Ouragans, tremblements de terre, hausse des températures… Peu importe, l’argent a toujours manqué.

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Dans la catégorie Num. 46 (Juin-Oct 2020)

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