COVID-19: Quel État après la crise ?
Par Jean-François Venne
La pandémie redonne du lustre au rôle de l’État dans les sociétés occidentales et porte un coup dur à ceux qui depuis les années 1980 rêvent de le voir réduit à sa plus simple expression. Reste à déterminer quelle dynamique s’enclenchera après cette longue crise sanitaire.
Dans les années 1980, le programme économique défendu par le président américain Ronald Reagan et la première ministre britannique Margaret Thatcher a lancé une ère néolibérale marquée par les baisses d’impôt et la diminution des dépenses publiques. Au Québec, bien que le rôle de l’État demeure plus étendu qu’au Canada et aux États-Unis, cela s’est traduit notamment par la quête du déficit zéro dans les années 1990 et des tentatives de « réingénierie » de l’État au début des années 2000. À l’échelon fédéral, la réforme de l’assurance-chômage dans les années 1990 (réformes Axworthy) a réduit la protection publique des travailleurs au moment même où le gouvernement canadien de Jean Chrétien sabrait dans ses mesures de soutien à la création d’emploi.
Cette orthodoxie s’est maintenue jusqu’à ce qu’un dangereux virus traverse les frontières et mette plusieurs économies à l’arrêt. En l’espace de quelques semaines, au printemps 2020, les gouvernements européens et nord-américains ont sorti le carnet de chèques et instauré des programmes très généreux pour aider les individus et les entreprises, en plus d’engager des sommes importantes dans l’achat de vaccins et autre matériel médical. Le tout financé par des emprunts massifs. Les États jouent aussi un rôle beaucoup plus visible dans la vie quotidienne des gens en imposant des confinements, le port du masque ou des couvre-feux.
Redécouvrir l’État
« La pandémie pourrait changer la compréhension et la perception que les citoyens ont du rôle de l’État et de l’importance du secteur public, en plus de redonner de la légitimité à la dépense publique », avance Stefanie Börner, sociologue à l’Université Otto-von-Guericke de Magdebourg, en Allemagne. Elle participe à une série de publications sur le thème de l’impact du coronavirus sur l’État-providence, soutenu par la Fondation Friedrich-Ebert. Liée au parti social-démocrate allemand, cette fondation s’intéresse à la démocratisation, au développement économique et au renforcement des structures de la société civile.
La sociologue ajoute que la crise sanitaire a brutalement mis en lumière les vulnérabilités induites par le démembrement de l’État durant les 30 dernières années. Celle-ci a frappé plus durement les travailleurs les plus pauvres, les personnes âgées, les personnes marginalisées et les femmes, soulevant des enjeux de justice sociale qui se trouvaient au cœur de la montée de l’État-providence dans les années 1960. « Nous savions tous que des gens ne gagnaient pas assez pour vivre décemment ou que des groupes étaient vulnérables, mais, soudainement, les conséquences sont apparues très clairement », note Stefanie Börner.