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François Audet (Directeur de l'Institut d'études internationales de Montréal, UQAM)

Éditorial: Le monde en crises par François Audet

Par François Audet
Directeur de l'Institut d’études internationales de Montréal, UQAM

Ce n’est pas nouveau : le monde a toujours vécu des crises, et ce, de manière cyclique. Nous sommes actuellement dans une de ces périodes où la planète vit des événements dont les conséquences sur les populations et la planète seront bouleversantes. Certaines recherches soutiennent même que la survie de l’humanité en dépend. Comme entité universitaire, l’Institut d’études internationales de Montréal (IEIM) doit se pencher avec rigueur, mais réalisme, sur les transformations majeures en cours et à venir, tant du point de vue politique et démographique qu’environnemental. Nous devons tenter de nous projeter en avant afin d’anticiper les effets structurants de cette période chaotique. Ainsi, en cette rentrée 2019, il est temps de dresser un portrait plutôt accablant.

D’un point de vue humanitaire, le bilan se détériore grandement : les crises s’enchaînent, s’allongent, persistent. En fait, depuis quelques années, chaque nouvelle publication des Nations unies (ONU) semble annoncer de nouveaux et tristes records.

Commençons par la faim dans le monde, une urgence malheureusement quasi absente des médias. Elle n’a de cesse d’augmenter. En juillet, l’ONU a publié un rapport des plus alarmant qui explique que pendant des décennies, la faim dans le monde n’a fait que décliner, mais que la tendance s’est inversée. Aujourd’hui, 821 millions de personnes souffrent de malnutrition, dont 113 millions ont des besoins humanitaires urgents. Quelque 53 pays vivent dans un contexte d’insécurité alimentaire aiguë, notamment le Nigeria, la Somalie, le Soudan du Sud, l’Afghanistan et le Yémen. En parallèle, 2,1 milliards de personnes souffrent d’obésité sur la planète. Les Nations unies ont bien identifié ce paradoxe dans leurs Objectifs du développement durable, mais l’insécurité alimentaire va persister longtemps sans l’adoption de politiques et d’actions efficaces.

En matière d’eau, le bilan est encore moins reluisant. Selon le rapport de l’ONU sur la mise en valeur des ressources en eau, plus de 2 milliards de personnes – soit 3 sur 10 –, n’ont pas accès à de l’eau potable, et 2,3 milliards n’ont pas accès à un service d’assainissement. Aujourd’hui, c’est un Africain sur quatre qui ne jouit pas du droit fondamental d’accès à l’eau. Et c’est sans compter le problème d’accès aux latrines et toilettes, qui pose d’énormes soucis de santé publique.

Des causes humaines et environnementales

L’insécurité est en recrudescence dans plusieurs régions du monde. Que se soit la menace djihadiste en Afrique de l’Ouest, les conflits majeurs au Yémen, en Irak et en Syrie ou les violences liées aux bandes armées d’Amérique latine, de plus en plus de civils sont menacés. La conséquence s’observe au quotidien : un flux migratoire historique. Pour la première fois de l’histoire récente, 71 millions de personnes sont déplacées dans le monde, dont 26 millions à titre de réfugiés. Un chiffre deux fois plus élevé qu’il y a 20 ans. C’est désormais quatre millions de personnes qui ont fui le Venezuela, alors que de l’autre côté de la planète, le plus grand camp de réfugiés au monde – dans le district de Cox’s Bazar au Bangladesh – accueille plus de 900 000 Rohingyas qui ont échappé au génocide en cours du côté birman.

Cette vague migratoire est exacerbée par les modifications du climat, qui bouscule plusieurs régions du monde. À une époque où l’Occident prend enfin conscience de l’effet des changements climatiques, le reste du monde lui, en subit les conséquences depuis longtemps. Le choix y est souvent simple : quitter pour tenter de trouver un endroit vivable et viable.

La conjoncture de l’évolution du réchauffement climatique et du nombre de conflits durables génère des projections humanitaires dont le coefficient multiplicateur fait peur. Plusieurs chercheurs estiment qu’aucun pays ne sera épargné par les dérèglements climatiques. Le réchauffement n’est plus un mystérieux sujet de débats, malgré les quelques climatosceptiques restants et les fausses nouvelles qui sont générées par une dangereuse mouvance politique. Il est maintenant bien démontré que la fonte de la calotte glaciaire entraîne la montée du niveau de la mer, menaçant des populations et villes entières à travers le monde, à commencer par les États archipélagiques.

En matière environnementale, les catastrophes s’enchaînent. En termes de biodiversité, on ne compte plus les situations désastreuses : les feux en Amazonie qui détruisent l’habitat de nombreuses espèces animales et végétales, la crise du plastique qui étouffe des écosystèmes entiers, et le déclin des abeilles, dont l’existence permet pourtant d’assurer notre production alimentaire, notamment.

La fin des démocraties libérales

Bon nombre d’enjeux viennent exacerber les éléments préoccupants présentés précédemment. Les conflits commerciaux et diplomatiques enflamment les médias et l’Internet, et nous sommes submergés d’informations plus ou moins fiables qu’il faut examiner avec minutie. L’utilisation du web comme moyen délibéré pour désinformer ou manipuler est désormais largement répandue. La cybersécurité devient l’objet de toutes les convoitises. Outils de pression diplomatique, ou encore pour influencer les votes des citoyens, le secteur informatique – incluant la gestion des métadonnées et la protection de la vie privée – prend maintenant autant de place dans les débats que d’autres menaces persistantes.

Sur le plan politique, les mouvements populistes sont en expansion à travers le monde et bénéficient de ce contexte de déséquilibre. Entre un Donald Trump qui prône des murs anti-migration, le fervent défenseur de la dictature Jair Bolsonaro au Brésil ou encore Heintz-Christian Strache en Autriche, ces gouvernements deviennent de plus en plus nombreux. Ils sont la conséquence d’un désaveu des citoyens envers les institutions démocratiques. Et le Brexit en est un exemple flagrant. Nous assistons donc à ce que plus d’un nomme « la fin des démocraties libérales ».

Cette tendance se retrouve également dans le déclin du multilatéralisme, victimes des soubresauts liés aux politiques de certains chefs d’État et de leurs orientations protectionnistes. Ce qui remet en cause les fondements de l’ordre mondial qui s’est bâti au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Parallèlement, nous observons trop souvent la paralysie du Conseil de Sécurité des Nations unies, incapable de jouer son rôle, qui est d’assurer la protection des civils. Alors que de nouvelles tensions régionales se dessinent, il nous faudra redéfinir les périmètres des régimes internationaux, car ceux qui prévalent ont été mis en échec.

Tous les indicateurs ne sont pas au rouge, certes. Mais nous devons admettre que nous vivons dans un monde où les problèmes globaux dépassent la capacité ou la volonté des États à y faire face.

Ces menaces nécessitent de s’adapter, et de se mettre à agir rapidement. En ces temps incertains, l’IEIM encourage plus que jamais le milieu universitaire à s’engager dans le développement de connaissances destinées à soutenir les décideurs. La science et les données probantes n’auront jamais été aussi importantes qu’aujourd’hui. Et espérons qu’au Canada, le contexte électoral fédéral favorisera la prise d’engagements concrets en ce sens.

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