Éducation: quand la pandémie bouleverse les pratiques sociales
Par Marine Lobrieau
En mettant la planète à l’arrêt, la pandémie a d’abord forcé les gens à réorganiser complètement leur quotidien et à revisiter leur manière d’interagir avec leurs semblables. En amenant ensuite les autorités à déconfiner graduellement différentes sphères de la société, elle a également bouleversé l’ensemble des pratiques professionnelles, dont celles qui touchent le travail auprès des enfants et des familles. Sans Frontières a voulu savoir comment les éducateurs spécialisés de la France et du Québec se sont adaptés à la COVID-19, et connaître les défis qui s’imposent désormais à leur profession.
Les éducateurs interrogés sont unanimes, le confinement a été « inédit » et « brutal », tant pour eux que pour les familles. « Du jour au lendemain, on a appris que les garderies et écoles fermaient, notre pivot central. On a donc dû arrêter brusquement, on n’a même pas pu l’annoncer à nos jeunes ni les préparer à ça », lance Virginie Marcoux, éducatrice spécialisée et directrice de la clinique INTERaction, située à Blainville, en banlieue de Montréal. Cette clinique réunit éducateurs spécialisés et ergothérapeutes pour proposer une démarche commune aux enfants.
Les métiers du social ont une approche basée sur l’interaction, l’échange et la présence physique, ce qui a imposé plusieurs défis aux éducateurs suivant le cours de l’évolution de la pandémie. Comment poursuivre le travail face à l’impossibilité de nouer des contacts physiques avec les familles tout en assurant le maintien des liens acquis ? Les intervenants ont dû rapidement s’adapter, mais il n’y avait pas de solutions miracles. « On a fait comme on a pu… », résume Clémence Deleau-Gaudel, éducatrice spécialisée en action éducative en milieu ouvert (AEMO) dans la région Auvergne-Rhône-Alpes, en France. L’AEMO – une mesure ordonnée par un juge des enfants – permet aux travailleurs sociaux français de développer un système d’aide contrainte, sans pour autant retirer l’enfant de sa famille.
L’un des défis de la crise de la COVID-19 a résidé dans le fait que bien que la population sût être en présence d’un ennemi de la santé publique, les experts prenaient réellement connaissance du nouveau coronavirus qu’au fur et à mesure de sa dissémination planétaire. Sans le recul nécessaire pour convenir des bonnes pratiques à adopter face à lui. Une situation qui a apporté son lot d’incertitudes aux éducateurs spécialisés, tout comme aux familles qu’ils suivent.
Composer avec l’incertitude
« Nous avons rencontré nos familles différemment : nous partagions alors avec eux un même contexte fait d’incertitude, d’angoisse, d’incompréhension et de doute », raconte Nathalie Barthazon, responsable d’un service de protection de l’enfance dans la région Auvergne-Rhône-Alpes, en France. « Surtout, à la différence du passé, nous ne savions pas, nous n’avions pas de réponses à tout. Et il faut bien constater que cela crée une relation différente. »
Ainsi destitués partiellement de leur rôle de « sachant », les éducateurs sont devenus plus que jamais le soutien émotionnel de ces familles. À défaut de trouver des réponses concrètes aux interrogations liées à la crise, les professionnels ont misé sur l’appréhension commune des événements. « Pendant cette période, il n’y avait pas de pièges. Je n’ai pas essayé de découvrir des failles, explique Clémence Deleau-Gaudel. Même s’il n’y a pas d’universalité du confinement, on était sur le même bateau. » Celle qui accompagne des jeunes âgés de 0 à 18 ans ajoute : « On rassurait avec ce qu’on était et comme on pouvait, et nous n’étions pas rassurés tout le temps ! »
De l’avis des professionnels questionnés, leur pratique s’est surtout faite en eaux troubles...