« Nous sommes Charlie. Nous sommes l'humanité »
De notre correspondant à Paris, Thibaut Gruel
« Dimanche matin, le 11 janvier, Paris semble calme sous un léger soleil, si rare à cette période de l’année. À tous les coins de la ville, sur les marchés, les étales proposent leurs produits traditionnels pendant que les badauds prennent leur café au troquet du coin. Mais l’atmosphère a quelque chose de particulier. Au lieu de prendre leurs temps, comme un dimanche normal, les gens se dépêchent de finir leurs courses pour rentrer chez eux. Le peuple de Paris se prépare à prendre la direction de la République.
Dès 13h, la place est noire de monde. À 14h, il était impossible de prendre le métro à plus de dix stations de République. Des centaines, des milliers de drapeaux tricolores, d’affiches ou autres banderoles « Je suis Charlie » sont sortis. À ceux-ci s’ajoutent des drapeaux chiliens, brésiliens, espagnols, marocains, algériens, israéliens, anglais, italiens, bosniaques, turcs, la liste est exhaustive…Dans le métro déjà, certains commencaient à entonner La Marseillaise timidement, comme impatients d’y être. Par conviction, par amour de la liberté, par besoin de montrer au monde entier que nous nous tenons debout.
À l’heure prévue de la manifestation, soit 15h, on ne peut plus avancer dans les rues à plus d’un demi-kilomètre de la place. Mais les gens sont patients, ils applaudissent les camions de pompiers qui passent, répondent en cœur à la population aux fenêtres qui lance des « Vive La France » et des « Je suis flic, je suis juif, je suis Charlie ».
De nombreux enfants sont présents, très jeunes pour certains, mais qui pour la plupart semblent comprendre ce qu’il se passe.
Une scène est presque irréelle. Les cars de CRS (Compagnies républicaines de sécurité) qui tentent de traverser la foule sont applaudis pour leur travail des derniers jours. Une jeune femme, percing à la lèvre, confie dans un sourire : « je n’aurais cru un jour applaudir la police ! ».
Boulevard Voltaire, l’avancée est plus fluide. Le cortège a commencé sa marche en direction de la place de la Nation. Un esprit serein et puissant émane de la foule. Dans les regards, on sent de la peine, mais aussi de l’espoir, l’envie de montrer que nous sommes unis. Et une forme d’émerveillement. La foule peut faire peur, aujourd’hui elle anime, elle envoie de la force et de la grandeur. On s’y sent bien. Tous sourient de voir que l’appel a été entendu.
Au deuxième étage d’un immeuble haussmannien, une petite fille harangue les manifestants. Elle doit avoir 10 ans tout au plus et crie de sa petite voix motivée « Je suis Charlie » et « Vivela France ! ». Les marcheurs applaudissent, reprennent en cœur ses appels à un monde meilleur.
Un stylo géant passe au milieu de la foule. Le stylo, le symbole de l’intelligence, du savoir et la création. Tout l’inverse d’une kalachnikov. À chacun ses armes.
La nuit tombée, la place de la Nationest toute aussi envahie que l’était République, si ce n’est plus encore. Dans les grandes artères, on n’avance plus, mais on applaudit toujours, on chante encore La Marseillaise. Les slogans restent les mêmes. Pour bien ancrer l’idée dans l’esprit du monde entier que si l’on s’attaque à nos fondamentaux, le peuple français, et toute personne aimant ce pays, se lèvera et fera front.
Dimanche 11 janvier 2015 à Paris, il n’y avait que des gens unis, et fiers de se battre pour le plus beau droit humain, la Liberté. Au nom de l’humanité toute entière.»