Dossier spécial: Point de vue d'expert
Trois questions à…
Me Émile Ouédraogo, docteur en droit international, avocat inscrit au Barreau du Québec, directeur du Centre africain de droit international pénal et de droit humanitaire à Ouagadougou et chercheur au Centre FrancoPaix de la Chaire Raoul-Dandurand à Montréal.
Q: Les Nations unies ne sont pas épargnées par les récentes révélations d’inconduites sexuelles. Comment expliquez-vous qu’il y ait de nombreux cas qui s’y terminent en non-lieux ? Notamment celui des soldats français de la force Sangaris en Centrafrique qui ont été acquittés l’an dernier.
R: Il est vrai que les soldats onusiens sont couramment accusés d’abus sexuels sur le terrain, et il faut le déplorer. Concernant le cas des soldats français, la justice est arrivée à un non-lieu en estimant que la preuve recueillie ne permettait pas d’établir la vérité des faits à l’encontre des militaires. Néanmoins, ce qu’il faut, c’est encourager les États à mener des enquêtes et à ne pas hésiter à sanctionner les auteurs d’abus sexuels lorsque, hors de tout doute raisonnable, il est prouvé que le crime est constitué.
Q: Dans les faits, est-ce que la parole d’un bénéficiaire vaut celle d’un intervenant humanitaire ou d’un coopérant ? Juridiquement, y a-t-il un équilibre ?
R: En principe, nous sommes tous des hommes, et donc égaux en dignité et en droits, quel que soit notre statut. Ce principe est bien connu et établi à l’article 1 de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Mais hélas, la vulnérabilité du bénéficiaire sur le terrain déséquilibre parfois la balance en pratique et le droit, en ces instants précis, ne devient que pure théorie. C’est ce à quoi nous avons assisté en Haïti.
Q: Dans un contexte de catastrophe humanitaire, quand l’État de droit est anéanti ou affaibli, quelles peuvent être les protections juridiques destinées aux plus vulnérables ?
R: La communauté internationale doit prendre le relais, et c’est à elle qu’incombe subsidiairement de protéger les populations civiles vulnérables. Lorsqu’il y a une catastrophe, le droit international des droits de l’homme est toujours applicable. Lorsque l’État failli est plongé dans un conflit armé — international ou non —, le droit des conflits armés existe pour immuniser les civils contre les effets des hostilités. Donc, il y a de nombreuses ressources juridiques pour faire obstacle à ces abus, peu importe la situation. Maintenant, lorsqu’on n’a pas pu empêcher les violations [des droits], il y a une obligation de rendre compte. On ne peut se contenter uniquement d’excuses, il faut sanctionner les auteurs en engageant leur responsabilité — au niveau national ou international — à la hauteur des actes commis, de leur ampleur et de leur qualification. Le droit international et les droits nationaux sont suffisamment outillés pour arriver aujourd’hui à ces résultats, pourvu qu’il y ait une réelle volonté de le faire.
Propos recueillis par Zora Ait El Machkouri