Point de vue: Iran et Arabie saoudite, un jeu à somme nulle ?
Par Sami Aoun
Les relations entre les deux puissances musulmanes imposantes de la région du Golfe que sont l’Iran et l’Arabie saoudite sont traversées par l’entrechoquement de leurs visions de soi et de leurs légitimités doctrinales et idéologiques. Elles sont en outre animées par leur course sectaire au leadership – sunnites versus chiites – dans l’espace musulman. D’où leur besoin urgent de contracter des alliances régionales et internationales.
Le tout arrive à un moment délicat de l’histoire du Moyen-Orient en perte de son poids stratégique au sein de l’ordre mondial, qui a pris son plein sens au moment de la fameuse exhortation de l’administration Obama à pivoter vers l’Asie en 2012. Cet appel a été accompagné par des reculs marqués du prix de pétrole, ainsi que la persistance des conflits insolubles comme celui de la cause palestinienne.
Tout cela, et bien d’autres événements en disent long sur l’affaissement du monde arabo-musulman, particulièrement en faveur de trois puissances, soient Israël, la Turquie et l’Iran. Plus fragilisée encore par des intrusions des puissances internationales, cette région du monde se voit le théâtre de polarisations et de guerres civiles et sectaires, mais surtout de guerres par procuration. Un cas manifeste et mouvementé de cette rivalité idéologique et géopolitique est justement l’affrontement entre l’Iran, d’obédience chiite, et l’Arabie saoudite, une puissance arabo-sunnite.
Remarquez que ces deux titans pétroliers occupent des positions géospatiales privilégiées à titre de modèles référentiels pour leurs idéologies rigoristes. À des degrés différents, ils rejettent en effet les idéaux de la modernité et de la démocratie libérale en vigueur dans l’espace occidental.
En se fondant sur la centralité du pouvoir du juriste consulte (velayet e-faqih), le régime iranien clérical chiite duodécimain – qui enseigne que les descendants de la famille de l’imam Ali, cousin du Prophète Mahomet, sont les porteurs du vrai Islam – fait sienne une rhétorique ouvertement antioccidentale. Il puise également des concepts et des notions du registre marxiste, tout en prenant soin de les réislamiser. Sur le plan géopolitique, Téhéran ne cache pas son ambition impériale motivée par la politique de l’empowerment des communautés chiites, en dénonçant leur marginalisation sectaire par les régimes de leurs pays, que ce soient l’Arabie saoudite, Bahreïn ou le Liban. Cela en poursuivant sa détermination à renforcer son emprise sur des passages maritimes stratégiques comme le détroit d’Ormuz, qui relie le Golfe persique au golfe d’Oman, et le détroit de Bab al-Mandab, qui sépare le Yémen et Djibouti. Ainsi, les stratèges iraniens s’efforcent, sans relâche, d’encercler l’Arabie saoudite et d’imposer leur influence sur des capitales arabes en prenant avantage de leurs fidèles alliés au sein de ces villes, surtout des groupes islamistes. Particulièrement ceux qui payent allégeance au régime clérical khomeyniste. Cette ambition stratégique est communément identifiée comme la création du « croissant chiite », soit la volonté iranienne d’ouvrir un corridor à partir de son territoire vers la Méditerranée en passant par l’Irak et la Syrie pour atteindre le littoral libanais.
Du côté de l’Arabie saoudite...
Sami Aoun Sami Aoun est professeur à l’École de politique appliquée de l’Université de Sherbrooke, ainsi que directeur de l’Observatoire sur le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord (OMAN) associé à la Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques. Il est un expert reconnu en histoire moderne et contemporaine du monde arabe et sur les questions qui concernent le Moyen-Orient. |