Solidarité: la politique d'aide internationale féministe du Canada rate-t-elle la cible ?
Cent millions de personnes supplémentaires pourraient se retrouver sous le seuil de la pauvreté en raison des changements climatiques d’ici 2030, estime la Banque mondiale. Pourtant, la plus récente politique de développement canadienne met l’accent sur l’égalité des genres et l’autonomisation des femmes et des filles. Fait-elle fausse route ?
Par Marie-Claude Savard
En 2017, le Canada rejoignait les rangs de la Suède et de la Norvège en lançant sa Politique d’aide internationale féministe (PAIF). Au-delà de l’intégration d’une perspective sexospécifique, la PAIF s’appuie sur une théorie du changement selon laquelle l’égalité des genres et l’autonomisation des femmes et des filles sont les moyens les plus efficaces d’éliminer la pauvreté, ainsi que de construire un monde plus pacifique et plus inclusif. En vertu de cette nouvelle politique, 95 % de l’aide bilatérale du Canada vise désormais l’égalité des genres et l’émancipation des femmes et des filles.
Avec une telle déclaration, le Canada se positionne en tant que leader en matière d’égalité des genres. L’importance fondamentale de l’égalité des genres dans la réduction de la pauvreté fait consensus. Sauf que les changements climatiques constituent une plus grave menace pour tout effort de développement mondial. Selon le Rapport spécial sur le réchauffement planétaire de 1,5 °C publié par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) des Nations unies en 2018, l’activité humaine a aujourd’hui généré une augmentation estimée de 1 °C des températures mondiales. En augmentant au rythme actuel, celles-ci atteindront 1,5 °C de plus entre 2030 et 2052.
Un tel réchauffement fait peser un risque important sur les systèmes naturels et humains, qui toucherait de manière disproportionnée les populations vulnérables du fait de l’insécurité alimentaire, de la hausse des prix des denrées, de la perte de revenus et des moyens de subsistance, des impacts sur la santé et des déplacements de population. Les effets les plus néfastes toucheraient l’Arctique, les petits États insulaires et les pays les moins avancés, tout en ayant une incidence démesurée sur les populations dont les moyens de subsistance dépendent des zones côtières et de l’agriculture. Les enfants, les personnes âgées, les populations autochtones et les travailleurs pauvres – qui sont justement majoritairement des femmes – se verraient ainsi en état de vulnérabilité par rapport aux conditions actuelles.
Par conséquent, les projections de réchauffement planétaire représentent une véritable menace pour la réduction des inégalités et l’élimination de la pauvreté. La Banque mondiale prévoit même que d’ici 2030, 100 millions de personnes supplémentaires plongeront sous le seuil de la pauvreté en raison des changements climatiques. Les politiques d’aide au développement doivent donc prendre explicitement en considération les enjeux climatiques afin d’obtenir des résultats durables.
Contrairement aux interventions de réduction de la pauvreté – qui peuvent s’étaler sur plusieurs décennies –, nous ne disposons que d’une dizaine d’années pour agir contre les changements climatiques. Il est donc urgent de prendre des mesures efficaces pour stabiliser les menaces pesant sur les populations et les écosystèmes vulnérables, et pour accroître leur résilience. La politique de développement du Canada, qui met l’accent sur l’égalité des genres, ne répond pas pleinement à l’urgence des changements climatiques.
Marie-Claude Savard Marie-Claude Savard cumule 20 ans d’expérience comme professionnelle en gestion de projet dans le secteur à but non lucratif, dont une douzaine dans le milieu de l'aide au développement. Elle est aujourd’hui doctorante en administration et chargée de cours à l'École des sciences de gestion de l’UQAM. Ses recherches portent sur la manière dont les ONG des pays du Sud affirment leur autonomie vis-à-vis leurs donateurs et collaborateurs occidentaux. |