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(Photo: Brian Mcgowan / Unsplash)

Éditorial: Gracias Luna par Zora Ait El Machkouri

Six mois se sont écoulés depuis la dernière édition ; les sujets ne manquaient donc pas pour cet éditorial tant l’actualité internationale demeure féconde. Mais au moment d’écrire ces lignes à propos du chemin encore sinueux qu’il nous reste à parcourir, collectivement, pour sortir du tunnel de la pandémie, une photo a surgi, le 18 mai, dans l’espace médiatique, par la lentille du photographe Bernat Armangué de l’agence Associated Press.

Une photo effroyable, glaçante pour la réalité qu’elle décrit. Mais une photo touchante et pleine d’espoir, qui vient balayer, l’espace d’un instant, toutes les ombres d’inquiétudes et de pessimisme qui se profilent à l’horizon.

Sur le cliché, Luna et Abdou. Abdou le Sénégalais et Luna l’Espagnole. Deux vies, deux destins, deux réalités qui s’entrechoquent par leur trajectoire antagoniste. Deux parcelles d’humanité unies dans une accolade immortalisée sur la plage del Tarajal, à Ceuta, enclave espagnole au Maroc, et qui a fait le tour du monde.

Bien sûr, cette photo a cristallisé toute la frustration des partisans de la haine qui se sont, comme d’habitude, précipités derrière leur clavier pour vomir, anonymement et lâchement, leurs insultes devant un geste tout simplement humain. Bien-pensance et universalisme aveugle, s’enragent-ils. Luna, bénévole à la Croix-Rouge espagnole, a même dû quitter les réseaux sociaux parce qu’on y menaçait sa vie. Son crime ? Avoir réconforté Abdou, un jeune homme épuisé qui venait frôler les terres européennes à la nage et qui ne trouvait plus son frère qui l’accompagnait dans la traversée. À la mi-mai, au moins 8000 migrants sont arrivés à Ceuta, la plupart à la nage, en provenance du Maroc voisin.

Il faut savoir que les deux protagonistes de cette photo se sont retrouvés, malgré eux, au milieu d’un imbroglio diplomatique entre l’Espagne et le Maroc. Au même moment, ce dernier déplorait que la première ait reçu dans un hôpital le chef du Front Polisario – qui se bat pour l’indépendance du Sahara occidental –, Brahim Ghali. Ce territoire est revendiqué par le Marocdepuis 1975. L’Espagne, quant à elle, accuse le Maroc de chantage en laissant passer ces âmes désespérées vers l’Europe.

Depuis l’image maintenant célèbre, Abdou a été renvoyé à Casablanca, et Luna a pu le joindre au téléphone quelques jours plus tard grâce au média espagnol TVE. Le jeune homme lui a confié qu’il n’oubliera jamais son geste.

Cette histoire nous laisse penser que l’humanité et la solidarité arrivent parfois à surgir d’une situation désespérante qui semble jouée d’avance. Il y a eu bien d’autres photos du drame de Ceuta, montrant un sauveteur espagnol portant à bout de bras un bébé inerte ou encore un jeune garçon qui s’est entouré de bouteilles en guise de bouée, suppliant les garde-côtes espagnols de ne pas le renvoyer.

Combien de ces images faudra-t-il encore avant que l’Europe ne prenne ce problème de migration au sérieux ? Rappelons qu’en mars 2020, la Turquie menaçait déjà de laisser passer en Grèce des milliers de migrants. Depuis, les garde-côtes grecs ont intensifié les retours forcés en Libye. D’ailleurs, la commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, Dunja Mijatovic, a adressé le 3 mai une lettre au gouvernement grec, afin de lui demander « instamment » de mettre fin à des actions qui vont à l’encontre de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme et de l’interdiction de refoulement inscrite dans la Convention des Nations unies sur les réfugiés.

De son côté, la Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, Michelle Bachelet, a exhorté, le 26 mai, la Libye et l’Union européenne à mieux protéger les migrants et à réformer de toute urgence leurs politiques de sauvetage, considérant que leurs pratiques actuelles « privent ces derniers de leurs droits et de leur dignité ».

Les différentes « crises » migratoires se succèdent et l’Europe ferme les yeux, renvoyant régulièrement la responsabilité aux pays de départ. Il ne s’agit pas de minimiser le problème délicat de la migration – qui deviendra un enjeu considérable et une conséquence directe des changements climatiques –, mais simplement de prendre des mesures humaines. Et le geste symbolique de Luna devrait faire réfléchir les dirigeants dont l’horizon électoral demeure souvent la seule échéance. Sans compter que la gestion de la crise sanitaire est un beau prétexte pour encore repousser cette question aux calendes grecques !

DE LA VITALE INTERNATIONALISATION DU VACCIN… ET DES SOINS DE SANTÉ

Parallèlement, le vent d’optimisme qui souffle sur ces grandes démocraties européennes et occidentales qui se vaccinent, chacune pour soi, leur fait aussi oublier que la pandémie est mondiale. L’équation COVID-19 ne sera résolue qu’en prenant en compte toutes les inconnues, y compris la vaccination dans les pays les plus vulnérables. À quoi bon crier victoire sur une terrasse à Montréal ou à Paris quand Mumbai accélère la cadence de ses crémations ?

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a dénoncé le 19 mai « l’énorme fossé qui se creuse » entre les différentes parties du globe. Elle demande à l’industrie pharmaceutique de s’engager à lever les barrières contractuelles des vaccins et à en suspendre les brevets pour en démocratiser l’accès. Selon elle, l’Afrique a besoin de 200 millions de doses supplémentaires d’ici septembre pour que le continent puisse vacciner… 10 % de sa population ! 

Nous osons espérer que Joe Biden a compris l’urgence d’un partage équitable, et que d’autres dirigeants suivront. Le président américain devrait annoncer en juin la distribution de 80 millions de doses de vaccin contre la COVID-19. L’action entre dans le cadre de l’initiative du groupement international COVAX, ayant pour but d’assurer un accès équitable dans le monde à la vaccination. COVAX doit permettre l’accès à 337 millions de doses dans 145 pays d’ici fin juin, et la distribution de 1,3 milliard de doses à 92 pays ayant une économie à faible ou moyen revenu d’ici la fin de l’année.

Outre l’écart qui perdure entre les pays développés et ceux plus vulnérables en matière de vaccination, la pandémie a surtout révélé les systèmes sanitaires défaillants de ces derniers, qui peinent à combler leur besoin en oxygène, par exemple. Mais l’enjeu est plus profond que l’accès aux vaccins. La crise sanitaire n’a fait qu’illustrer un enjeu plus endémique que nous dénonçons avec force depuis des années : par la nature globalisante et intrinsèquement reliée des différentes nations, le repli sur soi ne règlera aucun problème à long terme.

Les soins de santé comme l’accès à l’eau sont des droits humains fondamentaux et seule une instance multilatérale forte pourra imposer que tous les considèrent comme tels. Le problème est que cette instance multilatérale forte n’existe pas encore. Cela devait être le rôle de l’ONU, mais celle-ci demeure paralysée par son Conseil de sécurité au droit de veto systématique, qui ne défend que les propres intérêts des nations qui y siègent. Le bien commun ne résonne plus en son sein.

Courage donc à celle ou à celui qui osera poser le problème en ces termes, courage à celle ou à celui qui, comme Luna, embrassera l’humanité et le partage contre l’individualisme et le repli sur soi.

Zora Ait El Machkouri
Directrice de l’information

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Dans la catégorie Num. 48 (Juin-Oct. 2021)

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