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(Photo: Ehimetalor Akhere Unuabona / Unsplash)

Entrevue: Le monde en 2040 vu par la CIA

Le monde en 2040 vu par la CIA
Instabilités, innovations, polarisations

Propos recueillis par Zora Ait El Machkouri

Si certains voyaient dans la pandémie actuelle un nuage ponctuel qui finira par se dissiper et laisser place à un avenir planétaire plus radieux, mieux vaut pour eux ne pas prendre connaissance du nouveau rapport prospectif de la Central Intelligence Agency (CIA) américaine, Le monde en 2040 vu par la CIA —Un monde plus contesté. Traduit de l’anglais et supervisé par Laurent Barucq, le document a été publié le 28 avril dernier aux Éditions des Équateurs. Rédigé à l’origine par le Conseil national du renseignement américain – lié à la CIA – il brosse plutôt le portrait d’un horizon instable et complexe.

Un monde aux paradigmes mouvants, aux technologies puissantes et omniprésentes et où la vie privée ne sera qu’un vague souvenir, notamment dans les pays autoritaires… D’ici 2040, la connectivité sera omnisciente, grâce aux centaines de milliards d’objets connectés, et les enjeux éthiques sur nos données partagées et la maximisation de l’intelligence artificielle, considérables. La crise sanitaire actuelle, mais également les innovations technologiques qui vont toujours en s’intensifiant, perturberont l’écosystème sociétal de plusieurs nations, ayant par exemple comme conséquence la disparition de professions qui seront automatisées et l’explosion des troubles mentaux, dont les coûts avoisineraient les 16 000 milliards de dollars américains d’ici l’horizon 2040. Sans compter le vieillissement d’une partie importante du globe et quelque 1,4 milliard de personnes de plus sur Terre.

Tous les quatre ans, la communauté américaine du renseignement établit des perspectives et des prospectives sur tous ces enjeux hétéroclites, afin que le nouveau président qui entre en fonctions ait un panorama le plus complet possible des défis internationaux en cours et à venir. Pour ce faire, les experts de la CIA colligent les expertises d’universitaires, de chercheurs, d’organisations de la société civile, de spécialistes de la prospective, de groupes environnementaux et de chefs d’entreprises des divers continents pour établir ce portrait, puis de présenter cinq scénarios d’avenir plausibles. Notons au passage que dans le rapport remis à Barack Obama en 2009, l’avènement d’une pandémie était mentionné comme hautement probable avant 2025.

Le premier scénario dessiné est celui d’« un monde à la dérive », basé sur les tendances actuelles avec ralentissement de la croissance économique, une augmentation des disparités sociales et une paralysie politique dont la Chine profitera pour étendre son influence internationale. Le deuxième envisage un « monde fragmenté », avec des « silos » où les différentes sphères d’influence des États-Unis, de la Chine, de l’Union européenne et de la Russie perturbent le commerce international au détriment des pays les plus vulnérables. Le troisième scénario, dit de « coexistence compétitive », pose, quant à lui, une coopération et une relation commerciale solide entre les États-Unis et la Chine, sans conflit majeur. Le quatrième propose une trame de « tragédie et mobilisation » dans laquelle, après une catastrophe alimentaire mondiale, un partenariat sino-européen soutenu par les ONG et un multilatéralisme redynamisé met en œuvre des changements profonds contre les changements climatiques, avec une économie à faible émission de carbone et des transferts de technologies énergétiques avancées. Le dernier scénario considère une « renaissance des démocraties » avec un retour en force des États-Unis et d’autres démocraties qui améliorent, au moyen de partenariats public-privé, la qualité de vie de millions de personnes dans le monde. En parallèle, la Chine et la Russie accroissent leur système de surveillance et freinent l’innovation.

Santé, économie, technologie, démographie, géopolitique… Le tour de force de ce rapport, il faut le noter, est ce tissage pluridisciplinaire qui montre combien tout est interrelié et comment personne ne pourra échapper à la révolution technologique qui est en marche, et qui aura des conséquences dans chaque détail du quotidien. Si nous pouvons pointer une faiblesse, toutefois – et chacun en jugera – c’est que l’exercice étaye un point de vue exclusivement américain malgré l’argumentation scientifique qui solidifie le propos. Ses auteurs font tout de même preuve d’humilité en mentionnant à plusieurs reprises que ce ne sont que des prospections d’une perspective américaine, qui se veulent non politisées et qui ne sont liées à aucun programme politique.

Sans Frontières s’est entretenu avec Piotr Smolar, grand reporter et correspondant diplomatique au quotidien français Le Monde, qui a été choisi par les Éditions des Équateurs pour signer la préface « Le fracas du monde qui vient » de la traduction de l’ouvrage. 

Sans Frontières – Vous êtes journaliste depuis 20 ans et travaillez au Service international du journal Le Monde depuis 2007. Comment avez-vous reçu ce rapport ? Le trouvez-vous assez réaliste, notamment en ce qui concerne la possible fin de l’hégémonie américaine et la coexistence conflictuelle des hégémonies chinoise, américaine et russe, qui vont sans conteste produire quelques étincelles ?

Piotr Smolar – Je prends ce rapport comme une respiration, par rapport à l’avalanche de commentaires de comptoir et d’analyses myopes qui font notre quotidien par temps de COVID. Mais cela ne signifie pas que ce rapport soit parole sainte. L’exercice de prospective, sur une aussi longue période, est par définition très risqué. Les auteurs en sont conscients, et disent leur « humilité » en préambule. À mes yeux, ce qui a le plus de valeur est l’effort interdisciplinaire, la volonté de lier des domaines d’habitude abordés de façon séparée : climat, démographie, économie, innovation, institutions, etc. La communauté du renseignement ne découvre pas la Lune en disant que la rivalité sino-américaine sera centrale. Par contre, elle donne des pistes de réflexion intéressantes en montrant sur quels sujets cette compétition sera essentielle, là où se jouera la domination.

S.F. — Dans ce numéro du magazine, nous traitons du déclin annoncé du modèle démocratique, et le rapport en fait longuement mention. Il annonce également une crise de confiance au sein même des États totalitaires, qui ne seront pas non plus à l’abri des contestations. Comment restaurer la confiance de l’ensemble des citoyens envers leurs institutions, quelles qu’elles soient ?

P.S. — La question que vous posez occupe l’esprit de tous les démocrates. Dans l’ère du soupçon et de la méfiance généralisée, une très puissante polarisation s’organise dans nos sociétés, encouragée à la fois par les réseaux sociaux et parfois par des chaînes dites « d’information » pyromanes. Le rapport insiste sur la difficulté qui se pose pour les dirigeants des démocraties libérales : l’accélération de l’automatisation, des innovations technologiques, l’avènement de l’intelligence artificielle, tout cela entraîne une compression du temps. Les peurs, voire les angoisses, et les colères des populations s’accentuent, tandis que des pans entiers de l’activité humaine sont bouleversés...

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