Éditorial: L'effet papillon
Par Zora Ait El Machkouri
La hiérarchisation de l’information est une donnée observée en fonction de la perception de chacun, et de son empathie envers les autres peuples. Pourquoi s’émouvoir d’avortements sauvages au Tchad ou de la mort lente de Somaliens affamés quand nous sommes bloqués dans les embouteillages ou alors à quelques heures d’un match décisif de hockey ou de football ?
Et pourtant. Toute proportion gardée, il y a un lien entre notre quotidien et celui du Somalien malnutri ou de la Tchadienne qui se fait avorter au péril de sa vie ou se débarrasse de son nouveau-né dans un puits. Entre eux et nous il existe un lien, et il passe, entre autres, par l’aide internationale.
Cette aide aux pays en voie de développement, qu’elle soit octroyée par la France ou le Canada, porte nécessairement les marques du gouvernement en place. Si un gouvernement penche du côté de la droite conservatrice, il sera moins enclin à financer les organismes qui promeuvent l’avortement par exemple.
Certes, vu d’ici, ce ne sont que des tactiques géopolitiques et des stratégies qui souvent n’ont d’horizon que le maintien du pouvoir en place. Il n’en reste pas moins que les décisions prises dans des bureaux feutrés du Nord ont un impact réel sur la vie de milliers de personnes au Sud.
Pendant près d’une décennie, l’aide internationale canadienne a été « orientée » par l’ancien gouvernement conservateur au détriment de l’Afrique francophone et de la planification des naissances, au profit des ONG à vocation religieuse et des intérêts économiques du Canada. Les financements – et donc les ONG qui en dépendent – ont ainsi écopé des décisions prises à Ottawa.
Sauf que le nouveau gouvernement libéral, dirigé par le premier ministre Justin Trudeau, semble avoir opté pour une approche plus ouverte. Le mandat de la nouvelle ministre du Développement international et de la Francophonie, Marie-Claude Bibeau – qui nous accorde une entrevue exclusive dans nos pages – est d’ailleurs de prioriser « la santé des mères, des nouveau-nés et des enfants » sans considérations idéologiques.
Autrement dit, finis les aides bilatérales en fonction des retombées économiques canadiennes et les coups de pouce financiers uniquement destinés aux ONG « moralement » ou « religieusement » correctes. Tablant sur une « approche féministe », le nouveau gouvernement a promis de recentrer l’aide internationale sur les populations les plus vulnérables. Grâce à son appui aux acteurs de terrain, il réussira ainsi peut-être – soyons ultra-optimistes – à rejoindre et aider cette jeune fille sur le point d’avorter clandestinement au Tchad.
Pour ceux qui pensent que l’information locale est reine et que la distance qui nous sépare d’un évènement diminue son importance et son impact sur nos vies, paraphrasons la théorie du chaos d’Edward Lorenz qui veut qu’un battement d’ailes de papillon au Canada peut provoquer de bonnes, ou de moins bonnes, actions sur le continent noir.