Entrevue: Trois questions à Louise Arbour
« Il y a une prise de conscience des États membres sur la crise migratoire »
Le 9 mars 2017, la Québécoise Louise Arbour est nommée Représentante spéciale du Secrétaire général des Nations unies pour les migrations internationales. Elle a fini son mandat en décembre 2018. Elle a, entre autres, été procureure en chef du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie et du Tribunal pénal international pour le Rwanda (1996 à 1999), ainsi que Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme (2004 à 2008) et présidente-directrice générale de l’International Crisis Group (2009-2014). Sans Frontières s’est entretenu avec elle à l’occasion des Rendez-Vous Gérin-Lajoie.
Propos recueillis par Valériane Thool
Vous avez été nommée Représentante spéciale afin de mettre sur pieds le Pacte mondial pour les migrations sûres, ordonnées et régulières. Quelles ont été les difficultés auxquelles vous avez dû faire face pendant la préparation de ce qui est devenu le Pacte de Marrakech ?
La tâche qui m’a été attribuée est à l’initiative des États membres des Nations unies ; ce sont eux qui ont décidé, conjointement, d’un engagement politique en matière de migrations internationales. Mon rôle était principalement d’accompagner le processus, de coordonner toutes les expertises de la vingtaine d’agences onusiennes dont les intérêts touchent de près ou de loin aux flux migratoires. Par exemple, l’UNICEF se préoccupe de la migration des enfants, l’Organisation maritime internationale (OMI) travaille sur les flux de migrants qui passent par la mer, l’Organisation internationale du travail (OIT) étudie les normes applicables aux travailleurs migrants et l’Organisation mondiale de la santé (OMS) s’intéresse de près aux conséquences du déplacement sur les populations migrantes. Il s’agissait surtout pour moi de mettre à la disposition des États membres le plaidoyer nécessaire et toutes les connaissances que possèdent les experts des Nations unies, afin de créer un climat politique favorable. Il est parfois arrivé que les positions étatiques soient plus hostiles. Finalement, nous avons obtenu de bons résultats, et le Pacte a été adopté.
Comment expliquez-vous que de nombreux États aient retiré leurs signatures les semaines suivant l’adoption de ce Pacte, qui est pourtant un texte non juridiquement contraignant ?
Comme vous le savez, après plusieurs mois de négociations, nous avons réussi à avoir une entente en juillet 2018 sur le texte à adopter plus tard dans l’année. À la suite de cette entente, il y a eu une campagne très surprenante dans les médias, et surtout les médias sociaux, émanant en particulier des groupes extrémistes de droite anti-migrations. La diffusion de messages et commentaires a entrainé des remous politiques dans certains pays, qui se sont soldés par une grosse pression de certains États...