Géopolitique: la Turquie bombe le torse
Par Jean-François Venne
La Turquie de Recep Tayyip Erdoğan gonfle ses biceps au Moyen-Orient et n’hésite pas à multiplier les interventions musclées sur le terrain, au risque d’irriter ses alliés traditionnels. Simple recherche d’autonomie ou tentation impérialiste ? Trois experts se prononcent.
Fin septembre, la Turquie a rapidement secouru l’Azerbaïdjan lorsque le conflit armé contre l’Arménie a repris dans la zone contestée du Haut-Karabakh. Elle y aurait notamment envoyé plus de 1 500 mercenaires syriens, selon plusieurs ONG, dont l’Observatoire syrien des droits de l’homme. Une stratégie déjà utilisée avec succès en Libye depuis l’an dernier pour soutenir le gouvernement d’unité nationale (GNA) contre le maréchal Khalifa Haftar.
L’Azerbaïdjan ne constitue que le plus récent théâtre d’une intervention forte de la Turquie dans cette région. Elle reste très engagée dans le conflit syrien, à la fois contre les Kurdes et face aux troupes de Bachar al-Assad. Les derniers mois ont vu une recrudescence des tensions avec la Grèce en mer Méditerranée orientale, sur fond de recherche de gaz naturel. Tout cela sans compter les bombardements et offensives terrestres contre le Parti des travailleurs du Kurdistan dans le nord de l’Irak.
Certains analystes voient dans cette hyperactivité une ambition de retrouver la grandeur passée de l’Empire ottoman – le néo-ottomanisme. Une vision à laquelle n’adhère pas Didier Billion, directeur adjoint de l’Institut de relations Internationales et stratégiques (IRIS) et spécialiste de la Turquie et du Moyen-Orient. « L’impérialisme suppose une volonté de conquête territoriale et d’expansion que n’a pas la Turquie », juge-t-il.
Pour lui, les nombreuses aventures turques à l’étranger seraient en partie à mettre sur le compte de la personnalité du président Recep Tayyip Erdoğan. « Il est très réactif, estime M. Billion. Il saisit les opportunités, parfois avec succès comme en Libye où son intervention a contribué à redonner le haut du pavé au GNA. Mais ce n’est pas un stratège qui pense à long terme. »
Chris Kilford, directeur du Conseil international du Canada (CIC), ne voit pas lui non plus de grand dessein impérialiste dans les actions turques. « Le pays a plutôt été aspiré dans les nombreux conflits qui agitent ses voisins et dans lesquels il a des intérêts », croit cet ancien attaché militaire du Canada en Turquie (2011-2014).