Point lecture: Raconter l'ailleurs
Par Benoîte Labrosse
Algérie, Rwanda, Arabie saoudite, Égypte. Iran, Pakistan, Afghanistan, Syrie, Liban, Mali… Durant plus de 25 ans, Michèle Ouimet a sillonné la planète pour raconter aux lecteurs du quotidien montréalais La Presse la réalité de nombreuses guerres, révolutions et crises humanitaires, mais avant tout la vie quotidienne des habitants affectés par elles.
« Lorsque l’article était publié, tout paraissait si simple, si lisse, alors que derrière les mots sagement alignés, palpitait tout un monde. C’est ce monde, si loin du nôtre, que je raconte dans ce livre », écrit-elle en ouverture de Partir pour raconter. En plus d’être un condensé de géopolitique moderne, cet ouvrage autobiographique contient ainsi une galerie de portraits de gens qu’elle a rencontrés sur le terrain.
La journaliste revient en détails sur les dessous de ses reportages et sur l’évolution des conditions dans lesquelles elle les a réalisés — merci aux avancées technologiques ! —, mais surtout sur ceux qui l’ont aidé à exercer son métier dans des conditions pour le moins risquées. Parfois au péril de leur sécurité dans le cas de fixeurs, dont certains ont payé de leur vie. Plusieurs autres ont dû quitter leur pays sans espoir d’y retourner.
D’ailleurs, l’auteure est elle-même persona non grata en Algérie, en Iran, en Syrie et au Pakistan à la suite de ses reportages exposant des situations douteuses ou encore des gestes canadiens pas très reluisants. Elle avoue aussi sans détour comment sa santé, à la fois physique et psychologique, n’est pas ressortie indemne de ses choix professionnels.
Les habitués de La Presse retrouveront avec bonheur la plume de Mme Ouimet – qui a pris sa retraite au printemps 2018 –, dans un style à la fois plus personnel et plus revendicateur. « Je vis mal avec l’indifférence des gens qui zappent quand ils voient des images de guerre à la télévision ou qui refusent de lire les journaux parce que toute cette misère leur rentre dedans et bouscule leur vie tranquille », écrit-elle en faisant référence à la guerre en Syrie, où elle s’est rendue en 2012 et 2013. « Comment peut-on rester indifférence face à cette guerre qui s’éternise ? », s’interroge-t-elle avec colère.
« Écrire, c’est la seule chose que je sais faire », répète souvent Michèle Ouimet. Nous nous permettons d’ajouter « faire réfléchir » à la description si réductrice de cette grande reporter, qui vient tout juste de recevoir le prestigieux prix Judith-Jasmin Hommage de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec pour l’ensemble de sa carrière.
Partir pour raconter
Michèle Ouimet
Les Éditions du Boréal
296 pages