Édito: Je m'indigne donc je suis
« L’ignorance et la bêtise sont des facteurs considérables de l’Histoire », disait Raymond Aron. On peut donc dire que la saison estivale qui s’achève fut historique, et rien ne laisse présager une quelconque amélioration.
Loin des traditionnels sujets marronniers d’été qui reposent l’esprit – pour ne pas dire l’abrutissent – les salles de rédaction n’ont pas chômé, une crise diplomatique en chassant une autre, un attentat supplantant le précédent, une catastrophe naturelle en délogeant une autre... Le tout sur fond de vagues de migration de part et d’autre de l’Atlantique.
On en retient que ce sont toujours les plus vulnérables et démunis, ceux qui ont voulu échapper au déterminisme de leurs conditions, ceux dont on gomme le courage et l’humanité, qui font les frais de cette ignorance et de cette bêtise.
Il s’agit ici des « migrants », pour reprendre un terme médiatiquement galvaudé. Que ce soit aux portes du Canada ou des pays d’Europe, cette appellation générique englobe grossièrement les personnes qui décident, ou qui sont forcées, de quitter leur quotidien à la recherche d’un avenir meilleur. Des milliers d’histoires individuelles réduites à néant par une volonté de trop vulgariser ou simplifier une problématique aussi complexe que l’être humain lui-même. S’y ajoutent – prétexte ou non – les exigences médiatiques du temps d’antenne et de l’espace rédactionnel réduit.
Avant les réseaux sociaux, la bêtise restait tapie dans les salons ou circonscrite à la machine à café du bureau. La haine se faisait sentir sans se faire entendre, ou se faire voir à grande échelle. Mais les réseaux sociaux sont devenus les porte-voix assourdissants de la haine et de l’ignorance. Bien que les appels à la solidarité y soient réels et présents, ils sont rapidement noyés par l’individualisme, la peur de l’autre et le racisme ambiant. Qui ne sont autres que les symptômes d’une angoisse, celle de ne pas savoir comment s’adapter aux bouleversements mondiaux actuels.
Or, le « village global » de Marshall McLuhan est réel, et nous en sommes tous les habitants, que cela plaise ou non aux partisans des frontières étanches. Il ne s’agit pas de faire fi de l’État de droit et du respect des règles d’immigration. Au contraire. Seulement de faire preuve du plus élémentaire des droits et des devoirs, celui de solidarité.
Les réactions à la récente « vague » de migration au Québec, majoritairement haïtienne, fuyant les prémisses d’une politique américaine de l’exclusion – si bien incarnée par l’actuel chef d’État américain – est un triste exemple de manque cruel d’empathie. De nombreux « indignés du confort » refusent de saisir la problématique dans son ensemble. Avant même d’être entendus, les demandeurs d’asile sont stigmatisés, dénoncés, qualifiés de voleurs, de profiteurs, d’illégaux… Imaginez s’ils étaient en plus de confession musulmane!
De l’autre côté de l’Atlantique, l’Europe est loin de donner l’exemple, même si elle s’est toujours arrogée en donneuse de leçons humanistes contre l’arrogance égoïste nord-américaine. À ceux qui fuient la misère, le terrorisme et/ou les changements climatiques, elle offre actuellement… de rester où ils sont. Plutôt que de mettre en place une politique migratoire claire, le continent qui a subi les terribles conséquences de la discrimination systémique durant la Seconde Guerre mondiale propose le statu quo.
Des décisions douteuses se prennent au péril de la vie de ces « migrants ». Le président français propose par exemple de mettre en place des centres chargés de trier les candidats à l’exil (hotspots) dans les pays de départ, assortis d’une identification officielle. Mais comment imaginer un seul instant qu’une famille qui voudrait fuir une dictature vienne s’enregistrer officiellement auprès d’une administration qu’elle fuit ? C’est un non-sens !
La vie des exilés n’a plus de valeur. Leur mort, en route vers un meilleur avenir, est présentée comme simple statistique. Une anonymisation morbide qui devrait nous révolter et nous indigner, alors qu’au contraire, elle se banalise. Ces personnes étaient pères, mères, enfants, neveux, cousines…
Au grand dam des frustrés des frontières hermétiques, il y aura d’autres vagues de migrations, dues à des décisions économico-politiques ainsi qu’aux catastrophes naturelles qui vont probablement se multiplier. Peut-être faudrait-il arrêter d’improviser et commencer à anticiper les changements à venir, ainsi qu’à les expliquer clairement aux populations. L’éducation et l’empathie sont les seules armes qu’il nous reste pour contrer la bêtise et l’ignorance.
Zora Ait El Machkouri
Rédactrice en chef
Magazine sans frontières