Entrevue: "La travail décent est mis en péril dans les industries extractives du Togo"
Togo
« Le travail décent est mis en péril dans les industries extractives »
Par Fousseni Saibou
Le secteur extractif représentait 22 % du total des exportations du Togo en 2015, contre 18,5 % en 2013, selon l’Institut National de la Statistique et des Études Économiques et Démographiques. Et le nombre de permis d’exploration minière n’a pas cessé de croître depuis 2011. Ce dynamisme est toutefois assombri par la récurrence d’accidents mortels causés par la vétusté du matériel d’exploitation et l’absence de mesures de santé et sécurité sur les lieux de travail. Devant les cris de détresse des employés — auxquels les autorités semblent être indifférentes — l’association togolaise Solidarité et Action pour le Développement Durable (SADD) a fait du travail minier décent et sécuritaire sa préoccupation première. Yves Dossou, son coordonnateur général, a répondu aux questions de Sans Frontières.
Comment pouvez-vous résumer les conditions de travail des employés du secteur des industries extractives au Togo ?
Les travailleurs de secteur œuvrent dans des conditions extrêmement difficiles, qui ne respectent pas le Code de travail et un certain nombre de normes internationales. En matière de santé et de sécurité sur le lieu de travail, les travailleurs n’ont pas forcément accès aux équipements de protection individuelle ou collective.
Est-ce que tous les employés bénéficient des mêmes conditions ?
Non. Plus de 80 % de travailleurs ne sont pas déclarés à la caisse de sécurité sociale. Ceux qui vendent leur force de travail pour produire la richesse de ces industries extractives ne sont pas considérés comme des travailleurs à plein temps. Pourtant, ils sont ceux qui font le gros du travail. Et il existe une catégorie d’agents permanents qui sont comme des sous-chefs, et qui contrôlent ceux-là mêmes qui produisent. Ce qui crée deux catégories de travailleurs. Une catégorie un peu mieux considérée par les employeurs, dont les conditions de travail sont plus ou moins acceptables, et une autre — la plus importante — qui est considérée comme des esclaves. Dans ces conditions, nous estimons que le travail décent est mis en péril dans les industries extractives.
La SADD est-elle en mesure d’estimer le nombre d’accidents de travail dans le secteur au cours des dernières années ?
Ce serait un peu difficile pour nous de donner une statistique, mais nous constatons que cela a effectivement pris de l’ampleur. Étant donné que les comités de santé et sécurité au travail ne fonctionnent pas dans la plupart des industries extractives au Togo, il y a des accidents. Nous avons rappelé cette réalité à plusieurs reprises en convoquant des conférences de presse pour attirer l’attention de nos autorités afin que ces dispositions soient prises en compte et respectées, mais rien n’y fait. Nous avons par exemple enregistré de graves accidents à la West African Cement (WACEM), une grande entreprise qui emploie plus de 1 200 travailleurs. Ceux-ci ne sont pas protégés, donc des accidents mortels s’y produisent fréquemment. Le 30 juin 2015 aux environs de 14 h, l’explosion d’un bac à huile contenant du mazout a occasionné la mort de six ouvriers, dont un expatrié indien, alors que les travailleurs étaient en pleine réparation dudit bac [dans la ville de Tabligbo, NDLR]. Le 8 juillet de la même année, aux environs de 7 h, une équipe chargée de rallonger un convoyeur sur le site d’extraction de phosphate de Kpogamé se rendait sur les lieux à bord d’un camion quand elle a été percutée de derrière par un bulldozer en pleine descente.